Avec une deuxième vague du coronavirus, sans doute pire que la première, le gouvernement et les autorités sanitaires se retrouvent, une fois de plus, face au casse-tête de la difficile équation entre la levée du confinement ciblé et l’application stricte des gestes barrières et des règles d’hygiène et de prévention, devant permettre de limiter la propagation de l’épidémie. Par ailleurs, la suspension des cours dans tous les établissements scolaires et universitaires était l’une des mesures les plus polémiques et les plus contestées du gouvernement Méchichi, étant donné que la sonnette d’alarme a été tirée sur une éventuelle année blanche, à cause de la pandémie du Covid-19. Mabrouk Toumi nous en dit plus dans cet entretien qu’il accorde à La Presse.
Dans cette situation de plus en plus chaotique, l’année scolaire en cours est-elle encore récupérable ?
Il est vrai que les cours n’ont toujours pas repris même après la levée progressive du confinement. Mais de toutes les façons et ce qui est rassurant pour nous, c’est que notre gouvernement ainsi que nos décideurs sont tous conscients de l’existence des deux droits fondamentaux des enfants : droit à une vie décente et une santé adéquate et le droit universel à l’éducation, qui sont et resteront la responsabilité de l’Etat.
Donc, sans doute, le gouvernement, avec toutes les parties prenantes, dont la Fédération générale de l’enseignement secondaire relevant de l’Ugtt et le ministère de l’Education, veillent à ce que les cours reprennent de la manière la plus rapide et la plus intelligente dans nos écoles, tout en observant des règles plus importantes avec une logique de petits groupes pour protéger nos enfants du risque de contamination.
Mais dans un contexte de plus en plus délicat, l’efficacité du pilotage des risques de contamination s’affirme comme un défi majeur pour tout le monde, d’où l’obligation et l’urgence d’élaborer un calendrier scolaire réaménagé, qui s’adapte à la situation actuelle, puisque l’année scolaire 2020-2021 pourrait connaître de nouveaux décalages face à la recrudescence de l’épidémie. Comme on dit souvent : une situation exceptionnelle appelle des mesures exceptionnelles. Après quoi, ces mesures seront réévaluées en fonction de la situation épidémiologique. Donc, jusqu’à aujourd’hui, l’année scolaire 2020-2021 est toujours récupérable et aucune place pour le doute. Sinon, dans le cas contraire, ce sont nos enfants qui vont payer le préjudice que cette mesure inflige au développement de l’enfant en interrompant le processus éducatif.
Par mesures exceptionnelles, on entend, par exemple, la fusion des 2e et 3e trimestres. Est-ce suffisant pour sauver cette année scolaire?
En tant que partenaire social, on a fait part, depuis un bon moment, de nos sérieuses inquiétudes sur le sort de cette année scolaire et sur le niveau des élèves, sur les conditions sanitaires pour les élèves, les enseignants et le personnel, sur comment s’assurer que la pandémie n’aggrave pas la situation d’un système éducatif déjà en crise…et sur l’impérieuse nécessité de ‘’réfléchir ensemble’’ sur les mesures à prendre pour faire réussir et sauver cette année scolaire.
Aujourd’hui, ces défis sont toujours d’actualité face à une situation sanitaire encore fragile. Néanmoins, nous ne sommes pas restés les bras croisés devant la crise du Covid-19, qui nous a forcés à mettre notre vie ‘’sur pause’’. En effet, dans le cadre de la préparation de la rentrée scolaire du 25 janvier, après une suspension qui a perduré 10 jours, une réunion s’est tenue entre le ministre de l’Education et les secrétaires généraux des différents syndicats du secteur de l’éducation, relevant de l’Union générale tunisienne du travail, avec comme objectif principal de pouvoir arriver à une ‘’approche consensuelle’’ entre les différents intervenants du secteur afin de garantir des solutions alternatives en cas de détérioration de la situation sanitaire dans le pays.
Outre l’obligation et la nécessité de respecter les mesures d’hygiène, la distanciation socio-physique, les prélèvements obligatoires de la température aux entrées de ces établissements, le port obligatoire et correct du masque, le lavage régulier des mains, la désinfection de ces espaces…d’autres mesures ont été mises en place. On cite, tout d’abord, la fusion des 2e et 3e trimestres, en une seule période d’évaluation allant du 4 janvier 2021 jusqu’à la fin de l’année. Il y a aussi la suppression des vacances mi-trimestrielles (2e trimestre), qui devaient avoir lieu du 4 au 7 février 2021, tout en maintenant les vacances du printemps à la date prévue, soit du 15 au 24 mars 2021. Finalement, et non le moindre, le ministère s’est engagé à fournir plus de moyens de prévention aux élèves et acteurs éducatifs — tous corps confondus — étant donné que le plus important à l’heure actuelle est la sécurité et la santé des élèves, des enseignants et de tout le personnel du secteur. Toutes ces mesures devraient être respectées, tout en gardant le système d’enseignement d’un jour d’études sur deux pour chaque groupe pour ne pas dépasser le seuil de 18 élèves par classe.
L’Etat est-il actuellement en mesure d’assurer tout cela ?
Il faut dire la vérité aux gens. Sur terrain et faute de moyens financiers, il existe beaucoup d’inquiétudes sur la manière de transformer ces promesses en réalité (notamment la fourniture des moyens de protection des personnes et de stérilisation). Le ministère des Finances avait promis de mettre à la disposition du ministère de l’Education 20 millions de dinars pour l’aider à affronter la pandémie de Covid-19, chose qui n’a pas encore vu le jour. Et donc, le ministère de l’Education, avec les moyens modestes qu’il détient, essaye de maîtriser cette situation pour qu’elle reste sous contrôle et éviter des scénarios catastrophiques.
Mais il est important de signaler à ce niveau-là, que ce manque flagrant de financement et de moyens a un impact direct sur le rôle que doit jouer l’école publique dans ce contexte très particulier. L’un des secteurs régaliens, l’Education nationale, relevant des principales missions de l’Etat, pâtit, aujourd’hui, d’une défaillance structurelle. Pis, tout au long de ces dernières années, le modèle de l’enseignement privé a bâti sa prospérité sur la crise profonde qui frappe l’école publique.
Ce qui fait qu’aujourd’hui, l’école publique ne cesse de perdre du terrain au profit des institutions privées. Et donc, notre gouvernement devrait revoir sa vision pour faire de l’enseignement public la base d’une école assurant une éducation de qualité et compétitive (en toute sécurité) et non pas le contraire.
Malgré la réouverture prochaine des classes, de nombreuses questions se posent sur le risque d’une éventuelle année blanche. Qu’en pensez-vous ?
Le risque d’année blanche est réel, étant donné, qu’à l’instar de tous les pays du monde, la Tunisie fait face à un ennemi invisible et dangereux. Mais ce n’est pas le souhait dans lequel nous sommes aujourd’hui, car nous voulons que les élèves travaillent encore plus durant la période à venir, nous aident à faire respecter le protocole sanitaire mis en place…et surtout à faire réussir cette année scolaire, d’une manière ou d’une autre.
Par ailleurs, au sein de notre syndicat, nous ne considérons pas qu’il faille une année blanche, car c’est dur pour les élèves et même pour l’Etat de perdre une année (une affaire très coûteuse). Même si cette année scolaire et universitaire est perturbée par l’épidémie de coronavirus, nous souhaitons mettre tout en œuvre pour que le niveau des élèves ne baisse pas. Pour cela, le ministère de l’Education, en concertation avec toutes les parties prenantes, a envisagé plusieurs pistes — qui ont été déjà citées — pour permettre une poursuite des cours et éviter à tout prix une année blanche.
L’important ici est de finir l’année scolaire et universitaire selon des critères raisonnables qui maintiennent la qualité du processus éducatif, mais pour nous, le point le plus important reste toujours la santé des élèves. Il suffit de réunir le sérieux à la détermination et à la volonté pour faire réussir ce défi. Il est, aussi, extrêmement important de poursuivre, tout au long de cette épidémie, les concertations avec tous les partenaires sociaux afin d’obtenir des propositions constructives pour sauver cette année scolaire et universitaire.